L'ORANGE DE NOEL

Une histoire de Jean Guéhenno illustrée par Guy Frank

Sapin de Noël (Knarf, acrylique, 12/2003)

Étoile des Neiges (Knarf, acrylique, 09/2004)

*Le soir de Noël, quand j’avais huit ans, je courais, quelques sous en main donnés par ma mère, à la rencontre d'une épicerie. Mon trésor ne devait payer que la plus belle orange. Je bondissais chez Fichepoil, courais chez Ealet, revenais encore chez Fichepoil. Qui dira ce que peut être dans un enfant l'intensité du désir et sa certitude de toucher bientôt au bonheur ? C'est ce désir et cette certitude qui ne doivent pas être trompés, et un Dieu naissait cette nuit-là précisément pour les combler.

Je revenais un peu avant minuit portant dans une main une admirable orange enveloppée d'un papier de soie, dans l'autre un sac de chocolats à faveur rose. La distribution de chocolats, la messe de minuit, la visite à la crèche, puis la fête qui s'éteint.

Boules de Noël (Knarf, acrylique, 12/2003)

Variation sur l'Ave Maria (Knarf, acrylique, 12/2004)

Je regardais ma belle orange, ajoute-t -il. Et voici ce qui, rituellement, arrivait : ma mère la tirait de son papier de soie ; tous deux nous en admirions la grosseur, la rondeur, l'éclat ; je prenais dans le buffet un de ces beaux verres à pied en cristal qu'on achetait alors dans les foires (...), je le renversais, le mettais à droite, au bout de la cheminée, et ma mère posait dessus la belle orange. La pomme d'or prenait ainsi sa place parmi tous nos fétiches(...).

Pendant des mois, elle nous assurait par ses belles couleurs que le bonheur et la beauté étaient de ce monde. Quelquefois je la palpais, je la tâtais. Il m'arrivait d'insinuer qu'elle serait bientôt mûre.
- Attendons encore ! répondait ma mère. Quand nous l'aurons mangée, qu'est~ce qui nous restera ?
Nous attendions.

L'Ave Maria de Gounod (Knarf, acrylique, 12/2004)

Les rois mages  (Knarf, acrylique, 12/2003)

En avril ou mai, il fallait la jeter, parce qu'elle était gâtée. Je n'ai pas de souvenir d'avoir jamais mangé l'orange de Noël. Triste fin pour cet objet de désir et de convoitise !

... toujours, dans ma pensée, la nuit de Noël devra sa grandeur à ces souvenirs que j'ai rapportés, et il m'arrive encore de songer au bonheur comme à une belle orange de Noël qu'il faudrait partager entre tous les hommes pour que réellement ils la mangent.

Merci à Jean Guéhenno (Académie Française) qui, dans ses Mémoires : « Changer la vie, mon enfance et ma jeunesse » a écrit cette belle histoire.

JOYEUX NOËL !